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La critique littéraire : Uneksa

La critique littéraire
Uneksa





Auteur : Laura Ferret-Rincon
Nombre de pages : 165
Genre : Science-fiction sentimentale
Éditeur : Hugues Facorat Édition
Année de publication : 2016

Synopsis

Dans un futur proche, une entreprise du nom d'Uneksa a réussi à mettre au point un procédé pour matérialiser les rêves ce qui a ouvert les portes sur toute une nouvelle économie. Mais une grave crise économique a fait perdre de sa superbe entre temps à cette entreprise et à ses concurrents qui doivent désormais user de moyens plus ou moins légaux pour survivre. Antoine, jeune homme passionné par l'écriture, mais qui  doit payer ses factures comme tout le monde, va être amené à accepter un travail chez Uneksa. C'est durant ses activités routinières dans cette société avec sa part d'ombre qu'il va tomber sur un intrigant carnet. Carnet qui va l'amener progressivement à découvrir l'histoire d'une certaine Loreleï, espionne économique de ladite société ayant vécu un drame personnel, une fausse couche, suite à une mission qui ne se sera pas passée comme prévu.


Univers

L'univers mis en place avec un soupçon de Philip K. Dick est tout à fait crédible, même si le fait de n'être projeté qu'en 2030 limite un peu l'anticipation. L'auteur, Laura Ferret-Rincon y introduit des éléments de SF à petite dose avec des noms suffisamment évocateurs pour comprendre implicitement de quoi il s'agit : médicachets (p. 9), otola (p. 12), holo-écran (p. 27), faiseur de verbes (p. 62), etc. C'est tout à fait sympathique, mais le dépaysement est relatif cependant. L'amateur de SF que je suis aurait sans doute aimé un peu plus d'audace. D'autres pourront apprécier au contraire cette proximité avec notre monde contemporain facilitant ainsi l'immersion. C'est un choix délibéré de l'auteur qui se défend.

Le principal élément SF du livre, le procédé Alégaron (p. 24), technique qui permet de matérialiser des rêves dans des cuves, a suscité chez moi une grande d'attente il faut dire. Cette idée sur le papier avait du potentiel sur le plan narratif. Je me prenais à espérer que ce livre serait un successeur spirituel à Ubik. Disons-le tout net, ce n'est pas la direction prise par ce roman. L'auteur ne s'attarde que très modérément sur le procédé de la matérialisation des rêves et à ses implications philosophiques et métaphysiques, et c'est un peu dommage. Le lecteur n'en saura pas beaucoup plus sur le sujet que le principal protagoniste, et la réflexion autour n'est effleurée qu'à la fin du récit.

Enjeux

Les enjeux abordés par ce roman sont intéressants dans l'absolu, mais ils auraient mérité à être davantage approfondis. Dès le premier chapitre, le lecteur est plongé dans une ambiance à la Mission Impossible avec une mission consistant à récupérer des codes informatiques volés appartenant à Uneksa. Malheureusement, assez vite, toute cette ambiance disparaît pour laisser place à des scènes nettement plus contemplatives et introspectives où deux enjeux émergent : découvrir l'identité du propriétaire du carnet trouvé par Antoine, et comprendre les raisons de la disparition de Loreleï.

Il est assez regrettable que toutes les activités illicites d'Uneksa restent très floues et n'aient finalement qu'assez peu d'incidence dans l'histoire dans la mesure où on a presque l'impression qu'une histoire similaire aurait pu être racontée sans cette trame d'espionnage industriel, qui de plus souffre sur la forme d'un manque de crédibilité.

L'enjeu autour du carnet n'est pas inintéressant, mais stagne pendant la majeure partie du livre alors qu'il aurait sans doute été plus saisissant de faire intervenir beaucoup plus tôt Gabriel, matérialisation onirique de l'enfant que Loreleï n'aura pas eu, et non pas dans les derniers chapitres.

Et l'enjeu autour de Loreleï et de sa fausse couche, la trame qui est la plus développée du livre, peine à faire avancer l'histoire à lui tout seul dans la mesure où Loreleï disparaît assez tôt dans le livre.

Au final, en parcourant les pages, j'ai parfois eu le sentiment d'une dilution dans la narration, comme si l'auteur cherchait à meubler. Je pense par exemple la romance entre Damien et Maya qui à mon sens n'est pas indispensable à l'intrigue.

Tout cela nuit à la tension narrative même si certains passages de romance peuvent momentanément faire oublier cette impression de faire du surplace.

Descriptions

Le style est très plaisant à lire. Les descriptions sont suffisantes pour visualiser l'environnement et les quelques actions des personnages. Certains passages sont même joliment formulés :
« La pluie martelait toujours avec obstination le bâtiment et un bref regard de l'homme vers la fenêtre vint confirmer l'idée qu'il serait trempé. » (p. 65)
C'est sans doute la principale force du livre et c'est certainement ce qui m'a poussé à le lire jusqu'au bout. Mais comme beaucoup d'auteurs ayant quelques facilités d'écriture, elle cède parfois à la tentation esthétique. J'ai cru relever ça et là des descriptions un peu ampoulées au milieu de phrases très banales. Le texte peut souffrir de quelques inégalités de style et gagnerait à rester cohérent et homogène, sauf nécessité. Mais cela reste très marginal. Dans l'ensemble, c'est un style d'écriture que j'apprécie.

Dialogues

Contrairement aux descriptions, j'ai trouvé les dialogues assez plats d'une part, et à certains endroits, pas très convaincants. Je pense par exemple à la dispute entre Damien et Alex au sujet de Loreleï et de son manquement au règlement (p. 48) ou encore au dialogue entre Antoine et Xen (p. 126). Dans les deux cas, j'ai eu beaucoup de mal pour y croire.

Dans le premier cas, l'espionnage économique étant illégal à la base, pourquoi existerait-il une obligation de vertu pour les espions économiques ? Pourquoi même s'offusquer qu'une espionne utilise ses charmes pour remplir ses objectifs ? Il y a peut-être des raisons, mais elles ne sont pas expliquées et/ou ne sont pas suffisamment convaincantes pour ma part. D'autant que la façon qu'ont les interlocuteurs de s'exprimer semble assez naïve.

Pour le second cas, Antoine n'a aucune raison de tout dévoiler de ses activités un peu louches à sa direction, dans la mesure où à priori il est susceptible de se faire virer pour cela, voire pire, être poursuivi pénalement. Antoine va même jusqu'à révéler l'existence du carnet à Xen qui aurait pu simplement lui confisquer même s'il n'en fait rien, ce qui est un peu bizarre. Pour seule justification, le directeur se rassure en affirmant qu'Antoine est inoffensif. Ce passage est d'autant plus curieux que les révélations que Xen fait à Antoine n'avancent en rien ce dernier puisqu'il passera par Damien pour rencontrer Loreleï.

Personnages

J'ai bien aimé le personnage d'Antoine, qui est d'une certaine façon l'archétype de l'écrivain. Il est assez facile de s'identifier à lui. C'est quelqu'un de tout à fait banal, un peu dans son monde, avec un passé à peine esquissé, mais dont on se doute qu'il n'a rien de très intéressant.

Le personnage de Loreleï par contre m'a paru un peu moins crédible, même si paradoxalement, son background semble avoir été davantage travaillé. Le fait qu'elle soit la fille des fondateurs d'Uneksa et qu'elle se retrouve dans une situation d'exclusion et d'isolement me paraît assez incongru : ses parents ne pouvaient-ils pas l'aider à payer ses frais médicaux ?

Les personnages secondaires de Damien ou Maya pourraient être intéressants en tant que tels, mais ils volent parfois presque la vedette à Antoine ou à Loreleï sans qu'on sache vraiment pourquoi. Ça donne au global une sensation bizarre que l'histoire racontée est un peu hors sujet par moments.

Conclusion

En synthèse, pour un premier roman, c'est quand même de très bonne facture. L'auteur a une belle plume, un style prometteur. Par contre, l'intrigue comporte quelques faiblesses qui amoindrissent le plaisir de la lecture. C'est un peu dommage parce que l'idée de base sur la matérialisation des rêves et de leur commercialisation avait beaucoup de potentiel.

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